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Exercices juridiques / Cas pratique


Droit International Privé - Conflit des juridictions - Nationalité - Loi applicable - Divorce

Enoncé

Madame Fatma jouissant d’une double nationalité, Tchadienne d’origine et Libanaise par mariage, domiciliée à N’Djamena avec ses trois (3) enfants mineurs, est abandonnée par son mari. Ce dernier, de nationalité libanaise est reparti vivre au Liban depuis plus d'un an pour retrouver sa maîtresse, ne laissant aucune ressource financière à sa femme et à ses enfants.

Madame Fatma saisit le Tribunal de Première Instance de N’Djamena d'une demande en divorce fondée sur l'article 242 du code civil. Au cours de l'instance, Madame Fatma n'est pas parvenue à établir le contenu de la loi Libanaise. Elle pensait que le juge étatit tenu de le faire. Pourtant, le jugement de divorce a été rendu par défaut le 10 octobre 1999. Le juge a statué en faveur de de Madame Fatma : divorce aux torts exclusifs du mari fondé sur l’article 242 du code civil.

De plus, le juge lui a accordé une prestation compensatoire fondée sur l’article 270 code civil et une pension alimentaire au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Maitre Yousra s'inquiète d'une telle décision. Elle vous démande si le juge du Tribunal de Première Instance de N'Djamena a correctement appliqué les règles de Droit International Privé en ce qui concerne la détermination de la juridiction compétente et la loi applicable. En outre, elle voudrait savoir quelle serait la nature du contrôle exercé par la Cour Suprême en cas de pourvoi.

Corrigé

Si de plus en plus des couples font l'objet des jugements de divorce prononcés par les tribunaux nationaux, il faut dire que le divorce constitue un sujet très fréquent en Droit International Privé. Cette constance, est peut-être due à la prolifération des règles conventionnelles et à l’insuffisance des normes nationales y relatives, ou encore à la complexité de ces règlementations qui soulèvent souvent le problème de la compétence des juridictions en tenant compte de la nationalité sans toutefois préciser la loi à appliquer. Ce qui pourrait notamment amener à un contrôle des décisions rendues dans ces genres de situations.

En l’espèce, Madame Fatma jouit d’une double nationalité, Tchadienne d’origine et Libanaise par mariage. Domiciliée à N’Djamena avec ses trois (3) enfants mineurs, elle fut abandonnée par son mari, Libanais, reparti vivre au Liban ne laissant aucune ressource financière pour eux. Elle saisit alors le Tribunal de Première Instance de N’Djamena en demande de divorce. Le 10 octobre 1999, le juge prononça le divorce par un jugement rendu par défaut en se fondant sur l’article 242 du code civil et lui accorda une prestation compensatoire en vertu de l’article 270 du même code et une pension alimentaire au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Cette décision inquiète Maître Yousra qui vient alors nous soumettre quelques questions : les règles de Droit International Privé sont-elles correctement appliquées concernant la juridiction compétente et la loi applicable ? Quelle serait la nature du contrôle exercé par la Cour Suprême en cas de pourvoi ?

Pour une étude ordonnée, il convient de traiter ces deux questions l’une après l’autre.

1) La détermination de la juridiction compétence et de la loi applicable

En Droit International Privé, en matière de divorce, le choix du tribunal compétent est une chose et la loi compétente en est une autre.


En matière d’état de personne et plus particulièrement de divorce, la compétence internationale des juridictions tchadiennes est retenue sur la base du privilège de nationalité, celle du juge du for (le privilegium for) énoncé aux articles 14 et 15 du code civil. Cette compétence des tribunaux tchadiens est fondée sur la nationalité tchadienne du demandeur, même s’il n’est pas domicilié au Tchad. C’est l’article 14 qui le précise en ces termes : « l’étranger, même non résidant au Tchad, pourra être cité devant les tribunaux tchadiens pour l’exécution des obligations par lui contractées au Tchad avec un Tchadien ; il pourra être traduit devant les tribunaux du Tchad, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Tchadiens. »

En claire, si une personne réside au Tchad, elle est de nationalité tchadienne et son époux est un étranger : la demande de divorce peut être déposée par elle ou par son conjoint au greffe du tribunal de sa résidence. Le tribunal tchadien se déclarera compétent au motif que l’un des deux époux est Tchadien. Lorsque le demandeur a une double nationalité, le tribunal ne tient compte que de la nationalité Tchadienne.

En l’espèce, Madame Fatma, jouissant de la nationalité Tchadienne, est domiciliée à N’Djamena. Elle est alors habilitée à saisir le Tribunal de Premier Instance de N’Djamena qui se déclarera compétent pour statuer sur sa demande. Dans ce sens, le code de procédure civile Français fixe à l’art 1070 trois catégories de compétences classifiées :
— La résidence de la famille ;
— A défaut, la résidence de l’époux qui a la charge des enfants mineurs ;
— A défaut, la résidence de l’époux qui n’a pas pris l’initiative du divorce.
La cascade retient alors, à défaut de la première, la seconde condition qui est en effet remplie dans le cas de l’espèce. Mais quelle loi, le juge Tchadien qui a retenu sa compétence doit-il appliquer ?


Pour déterminer si la loi Tchadienne est applicable, il faut vérifier que les conditions soient réunies au jour de l’introduction de la demande en divorce. Au regard de de l’article 309 du code civil, « le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi Tchadienne :
— Lorsque l’un et l’autre des époux sont de nationalité Tchadienne ;
— Lorsque les époux ont, l’un et l’autre leur domicile sur le territoire Tchadien ;
— Lorsque aucune loi étrangère ne retient compétence, alors que les tribunaux Tchadiens sont compétents pour connaitre du divorce ou de la séparation de corps. »

Cela veut dire que le juge Tchadien ne peut appliquer la loi Tchadienne que lorsque les époux, soit sont tous deux Tchadiens soit tous deux domicilié au Tchad au jour de l’introduction de l’instance, soit lorsqu’aucune loi étrangère potentiellement applicable ne se reconnait compétent.

En outre, le règlement de Rome III du 20 décembre 2010 permet une rupture avec la règle de conflit de loi en matière de divorce international en apposant une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable en matière de divorce. Désormais, en présence d’un Tchadien qui a pour conjoint un étranger (ou l’inverse) : le tribunal tchadien est compétent et la loi tchadienne s’applique. En absence de la désignation par les époux de la loi applicable au divorce au moment du mariage, l’article 8 du règlement de Rome III dispose que la loi applicable au divorce est celle de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction, de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux y réside encore dans cet Etat, de la nationalité des deux époux, ou encore de la loi dont la juridiction est saisie (juridiction tchadienne en l’espèce).

Or, la décision rendue par le tribunal de première instance dans le présent cas, est intervenue antérieurement à cette évolution (le 10 octobre 1999). A cette date, il n’y avait pas des règles qui permettraient l’application de la loi Tchadienne si les conditions fixées à l’article 309 ci-haut cité ne sont pas remplies. Cet article était seul applicable. Ce qui veut dire que la loi Tchadienne n’est applicable à ce jugement. Mais dans ce cas, comment sanctionner cette décision ? Dit autrement, quelle serait la nature contrôle qu’exercera la Cour Suprême en cas de pourvoi ?

2) La nature du contrôle à exercer par la Cour Suprême en cas de pourvoi

En matière judiciaire, le contrôle est la vérification par la Cour Suprême de la conformité aux règles de droit d’une décision judiciaire rendue en dernier ressort qui lui est soumise par voie de pourvoi. La Cour Suprême exerce plusieurs types type de contrôles : contrôle de régularité portant sur sa propre saisine ou encore appelé contrôle de recevabilité, le contrôle normatif et le contrôle disciplinaire.

Si la compétence du juge Tchadien était retenue pour trancher ce litige, cela ne veut pas absolument dire que la loi Tchadienne soit applicable. En Droit International Privé, jus et forum ne sont pas liés. Ainsi, l’article 309 applicable dans la procédure de l’espèce exclut l’application de la loi Tchadienne. Il va alors s’agir d’un contrôle normatif, un contrôle de légalité qui sera exercé par la Cour Suprême en cas de pourvoi.

Il ressortira de cet examen que les juges n’ont pas donné une base légale en prononçant le divorce et en accordant pour ce fait, la prestation compensatoire fondée sur l’article 270 du code civil et la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Car, même si une telle décision parait juste, il était question pour les juges de vérifier si les dispositions visées étaient applicables en tenant compte des critères de rattachement.

Toutefois, la Cour Suprême pourrait admettre cette décision si la loi potentiellement applicable au litige (la loi Libanaise par exemple) aurait abouti à une même conclusion que si la loi Tchadienne était appliquée. Donc, les premiers juges étaient tenus d’établir le contenu de la loi Libanaise. Chose qui n’était faite.

Aussi, si ni la loi Libanaise, ni une autre loi à cause d’un quelconque facteur de rattachement n’était applicable, la Cour Suprême pourrait également retenir la compétence de la loi Tchadienne en vertu du même article 309 : «  le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi Tchadienne… lorsque aucune loi étrangère ne retient compétence… »


Ismail Abakar
Le 19 nov. 2021



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