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Documentation / Jurisprudence Tchadienne / Premières Instances


REPRTOIRE N° 120/15 DU 16/6/2015 - TGI DE N'DJAMENA - JUGEMENT CIVIL



REPUBLIQUE DU TCHAD
COUR D'APPEL DE N'DJAMENA
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE N'DJAMENA
REPRTOIRE N° 120/15
DU 16/6/2015
JUGEMENT CIVIL

AFFAIRE: ADD et 98 autres, requérants.
CONTRE: Mairie de N'Djaména et l'Etat Tchadien, défendeur.
Objet : Réclamation des dommages et intérêts
A l'audience publique du Tribunal de Grande instance de N'Djamena, siégeant en matière civile et coutumière, et en premier ressort, tenue dans la grande salle des audiences du palais de justice de ladite ville le 16/6/2015 par :
YM, Président ;
Assisté de Me DL, Greffier ;
En présence de DN et IT, Assesseurs ;
Et YI, interprète ;
Il a été rendu le jugement dont la teneur suit :
Entre
ADD et 98 autres, demandeurs comparants, ayant pour conseil cabinet NJ,
D'une part
Et LA MAIRIE DE N'DJAMENA et L'ETAT TCHADIEN, défendeurs comparants, ayant pour conseil cabinet PH
D'autre part
Sans que les présentes qualités ne puissent nuire ou préjudicier aux droits et intérêts des parties en cause, mais au contraire sous les plus expresses réserves de fait et de droit.

FAITS ET PROCEDURE

ADD et 98 autres, habitant le quartier Repos III, carré 7 y ont été déguerpis en 1996 par la mairie de N'Djamnéna au seul motif que cet espace est une réserve de l'Etat. La mairie s'est rendue compte, plus tard, que c'est par erreur que ce déguerpissement a été effectué. En lieu et place de leurs habitations détruites, ADD et 98 autres sont surpris de constater l'occupation et la mise en valeur du carré 7 du quartier Repos III par d'autres personnes qui n'y avaient jamais habité.
Par une requête introductive d'instance en date du 04/12/2012, ADD et 98 autres, sous la plume de leur conseil, le cabinet NJ, saisissent le Tribunal de Première Instance de N'Djaména pour voir condamner solidairement la mairie de N'Djaména et l'Etat Tchadien à leur verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de cinq milliards cinq cent millions (F CFA 5 500 000 000) pour tous préjudicies subis du fait de ce déguerpissement.

DISCUSSION

I) SUR LA RECEVABILITE DE LACTION

Attendu qu'aux termes de l'article 1er du Code de procédure civile, «Laction civile pour obtenir la reconnaissance ou la protection d'un droit est portée devant les juridictions de première instance et la Cour d'appel, conformément aux dispositions de la loi d'organisation judiciaire»; Que l'alinéa 3 de l'article 11 du même Code précise et complète en disposant que « Pour toute demande en réparation du dommage causé par le fait d'un tiers, devant le Tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ; »

Attendu que sieur ADD et 98 autres ont saisi le Tribunal de Grande Instance de N'Djaména aux fins d'obtenir la condamnation solidaire de la mairie de NDjaména et de l'Etat tchadien à leur verser des dommages et intérêts suite à la procédure irrégulière de déguerpissement dont ils sont victimes ;
attendu que l'Etat tchadien soulève par les soins de son conseil, le cabinet d'avocats associés maitres PH et JB, une exception d'irrecevabilité sur le fondement de l'article 2265 du code civil qui dispose : « toute action relative à un droit immobilier se prescrit par dix ans, si celui qui prétend en être propriétaire habite dans le ressort de la Cour d'Appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé. » ; Que de l'esprit de cet article, il soutient que le retard avec lequel l'action en réclamation des dommages et intérêts introduite par sieur ADD et 98 autres devrait conclure à son irrecevabilité car, entre le déguerpissement de 1996 et la requête en date du 04/12/2012, le délai de dix ans est largement dépassé de six ans ;
Mais attendu qu'en l'espèce, les parties avait commencé par chercher un règlement amiable comme l'atteste la correspondance du mairie de la vile de N'djamena au ministre de l'aménagement du territoire datant de 2000 ; Que ce n'est qu'après l'échec du règlement amiable que ADD et 98 autres ont saisi la justice ;Que d'ailleurs, l'action n'a pas pour objet la revendication d'un droit immobilier, mais plutôt la réclamation des dommages et intérêts dont la prescription extinctive est de trente ans;
Qu'il convient de conclure à la recevabilité de l'action des requérants;

II) SUR LA RESPONSABILITE DE LA MAIRIE ET DE L'ETAT TCHADIEN

Attendu que pour se soustraire du fait dommageable, la mairie de N'Djaména se borne à soutenir que son rôle dans cette opération de déguerpissement était simplement d'exécuter la décision du Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Habitat, qui a la charge de confectionner le plan de la ville et de le mettre à la disposition de la marie pour exécution ;
Attendu que la mairie de N'Djaména participe activement aux travaux de la Commission d'Urbanisme de la ville et quelle y occupe même le poste de Vice-président ; Que de ce fait, la mairie de N'Djaména est actrice au même titre que le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Habitat des opérations relatives à l'urbanisation de la ville, notamment la conception des plans et leur mise en exécution ;
Qu'il échoit de conclure à la responsabilité solidaire de la maire de N'Djaména et du Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Habitat dans le déguerpissement des habitants du quartier Repos III, carré 7 ;

III) SUR LA RECLAMATION DES DOMMAGES ET INTERETS

Attendu que pour réclamer la condamnation solidaire de la mairie de N'Djaména et le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Habitat à leur verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de cinq milliards cinq cent millions (F CFA 5 500 000 000), ADD et 98 autres, se sont fondés sur le déguerpissement dont ils ont fait l'objet en 1996 ; Que c'est par erreur que la décision a été exécutée car, le carré 7 du quartier Repos III n'était pas en réalité une réserve de l'Etat ;
Attendu qu'aux termes de l'article 17, alinéa 1er de la Loi N°25 sur les limitations des droits fonciers du 22 juillet 1967 : « le déguerpissement ouvre droit à une indemnité. » ; Que le 1er alinéa de l'article 18 de la même Loi complète en précisant que « l'administration peut prendre possession 15 jours pleins après le paiement ou la signification des indemnités. »
Attendu qu'en l'espèce, ni la mairie de N'Djaména, ni l'Etat tchadien n'ont pu exhiber au moyen de leur défense les pièces justifiant la conformité de la procédure dudit déguerpissement aux dispositions de la Loi précitée ; Qu'il y a lieu d'en déduire un fait dommageable ouvrant droit à la réclamation des dommages et intérêts ;
Attendu que le propre de la responsabilité civile est de réparer tout dommage causé à autrui; Que les termes de l'article 1382 du Code civil prévoient l'obligation de réparation à la charge de quiconque cause, par son fait, un dommage à autrui;
Attendu que l'erreur avec laquelle la décision de déguerpissement contre les habitants du quartier Repos III, carré 7 a été exécutée mérite réparation, Qu'il est largement rapporté dans les faits que les requérants ont subi des préjudices moraux, matériels et financiers par le fait de la mairie de N'Djaména et de l'Etat tchadien; Que la pire des choses est que l'Etat tchadien a attribué le reste du terrain querellé non compris par la forêt à dautres citoyens qui y ont investi en construisant des maisons, deux stations d'essence et plusieurs parcs de vente de véhicules d'occasion ;
Attendu que l'article 2 de la Loi N°23 portant statut des biens domaniaux du 22 juillet 1967 énonce que « le Domaine public naturel comprend les cours d'eau permanents ou non, Les forêts classées. » ;
Attendu que le Procès-verbal de descente sur les lieux en date du 15/12/2014 établit qu'une partie de l'espace d'où les requérants ont été déguerpis, par erreur, est une forêt classée ; Que même sil y a indemnisation, les occupants de la forêt classées ne pouvaient espérer en bénéficier ;
Attendu qu'après deux descentes au service de cadastres, celui-ci n'a pu nous donner la dimension exacte sinon le nombre de lots que pouvait contenir ledit carré 7 ;
Qu'il y a lieu de ramener le montant de la réparation à hauteur des préjudicies réellement subis par les requérants en excluant tous ceux qui prétendent être occupant de la forêt qui est un ancien cimetière des enfants jusquà la station d'essence de TOTAL, donc une réserve de l'ETAT ;

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,
Vu les pièces versées au dossier par les parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
statuant publiquement, contradictoirement à légard des parties, en matière civile et coutumière et en premier ressort;
Sur la forme :
Déclare recevable l'action de ADD et 98 autres;
Au fond :
Dit quelle est partiellement fondée ;
Condamne l'Etat Tchadien et la mairie de N'Djaména à payer solidairement à ADD et 98 autres la somme de huit cent millions (FCFA 800 000 000) de francs à titre de dommages et intérêts ;
Les déboute du surplus de leur demande ;
Condamne les défendeurs aux dépens
Ainsi jugé et prononcé à laudience publique les jour mois et an que dessus ;
Et après lecture faite, signent le Président qui la rendu et le Greffier.